Inventons nos rituels pour rester connectés
Inventons nos rituels pour rester connectés
Si nous avons lâché beaucoup de croyances et nous sommes séparés de nombreuses de nos traditions, nous n’avons pas abandonné la pratique de rituels. Ils incarnent un besoin d’appréhender d’une façon particulière certains moments et certains gestes. Un ensemble de petits ou grands rituels nous sont propres et intimes, parfois confidentiels ou inconnus à nous-mêmes. Ne seraient-ils pas une option cachée anthropologique qui nous donnerait à vivre autrement, tournés vers l’intérieur, certains rendez-vous avec nous même, avec les autres, avec le temps ou certains lieux ? Des approches codées qui nous permettraient de garder le cap face aux processus de déshumanisation de nos sociétés individualistes et mercantiles et de se relier à l’intemporel, à l’inutile essentiel. Ces rituels nous extraient de l’absurde, du vide existentiel, ils érigent des remparts symboliques contre les impacts insensés et impensés que produisent nos mondes trop matérialistes. Ils sauvent nos esprits de l’objectivation du monde. Ils sont points d’accroche pour recréer des pensées, nous libérer de l’air du temps et nous ancrer dans le temps présent. Les rituels du matin nous procurent l’élan et nous préparent à tout recommencer inlassablement. Ils nous suggèrent un départ. Les rituels du soir nous permettent de lâcher, de faire un pas côté, nous unir aux autres. Ils sont transitions, médium. Ces rituels modernes tissent notre rapport à l’invisible et nous redéfinissent à chaque fois comme singulier dans un grand tout. Un bonjour, une attention, un regard. Ils peuvent aussi évoquer nos liens aux passés, nos origines, nos fondations, nous rappelant valeurs et visions du monde premiers. Ils sont ceux qui mettent en scène le monde vivant en nous incluant. Ils sont faibles mais résistants, réinventés ou survivants, mais précieux. Ils nous feront passer le temps et nous aideront à changer d’aire. Les rituels nous élèvent et dynamisent nos gestes, L’humain reste humain et même dans nos vies modernes nous éprouvons le besoin de ces actes qui frôlent le sacré sans le nommer. Nos petits rituels qu’on réinvente et souvent pour soi peuplent et animent notre existence. Il est loin le temps des croyances magiques collectives ou des rituels de passage d’un âge à l’autre, d’un statut à un autre. Tous ces rites nous reliaient socialement par des gestes, des fêtes, des événements codés. Nous aspirons ainsi à toujours sacraliser et donner du sens aux moments importants. Répéter, chanter, rythmer, partager. L’invisible retrouvé. Qu’est ce qui est important pour nous aujourd’hui et comment agir en monde ? Changer nos désespoirs et nos désillusion en donnant de la beauté à nos quotidiens, en les rendant au vivant.
« Les routines sont des comportements répétitifs concrets qui aident à développer des compétences, ils apportent cohérence et ordre dans nos vies. Les rituels, quant à eux, sont des routines élevées par la créativité, motivées par l'intention et imprégnées de sens. Lorsque nous intégrons les rituels à notre vie quotidienne, nous élevons la vie elle-même." Esther Perel
Zaffa
Une loupiote sur son petit bateau de papier rassemble la famille autour d’un être cher disparu. Cette lumière rappelle au monde visible mon premier enfant disparu. Chaque année, déposer cette lumière sur un cours d’eau, la laisser partir tranquille, le laisser venir et repartir, nous avec lui lui avec nous. Il fait nuit, Zaffa est toujours dans nos esprits et nous l’accueillons. La disparition d’un nouveau né, le premier, celui qui m’a fait mère a besoin d’un rituel pour le rappeler et toujours lui rendre sa place. Le départ d’un enfant est l’inversion d’un ordre. Alors je remets un peu d’ordre, chaque année, je replace mes enfants dans le bon ordre. Puis le laisser repartir, il vogue et nous éclaire. Il est l’ainé, le premier. Cette lumière est née et elle nous revient chaque année, à son anniversaire lors d’un cycle, de la vie et de la mort.
Bain de soleil
Le rituel du premier bain de soleil pour en finir avec l’hiver. S’allonger au sol, à l’abri des regards, le corps le plus offert possible, chaque grain de peau découvert pour recevoir les premiers rayons de chaleur. Cet instant où le corps se réchauffe au soleil vient balayer l’ombre de la saison froide. Un rendez-vous avec la lumière et un retour sur l’extérieur. Le retour à l’extériorisation après l’introspection de l’hiver, le retour à la caresse et à la jouissance. Nous sommes le dehors, l’accueillant, une partie du tout, nous sommes lumière dans la lumière. Rituel saisonnier pour sentir l’intégrité de son corps, unir chair et esprit, communion et plaisir sensible. La lumière c’est l’aspiration à l’échange, à la positivité. La lumière, c’est faire le jour, c’est ouvrir les yeux, relier sensation et pensée, se sensibiliser, priorité au plaisir, c’est aussi relancer le désir.
Café du travail
Je ferme la porte de mon atelier, avec mon café. Je remplis la cafetière, je la pose sur le feu et je réfléchis à l’espace qui est autour de moi, ma fenêtre, le chauffage, mon matériel. Je prépare mon papier, mes couleurs, mes pinceaux, à ce moment là le café chante, je prends toujours le même bol qui correspond juste à ma dose de café, il entre pile poil dans ma main, je commence à boire le café, et avant de finir ma tasse, je commence le dessin. Quand il reste une seule gorgée, je dessine. La petite boisson amère met en mouvement le travail du quotidien. Recommencer et se donner la chaleur, l’intuition, la créativité. Se préparer par un ensemble de gestes à passer à l’action, mobiliser tout son corps et ses pensées, se lancer. Tout est de nouveau possible.
Fleurs de Oma
Pour un temps court, ma grand-mère a quitté la maison de retraite pour l’hôpital. Il y a eu l’inquiétude du transfert en pleine pandémie et elle a passé dix jours seule. Je ne pouvais pas être en contact avec elle alors j’ai créé un rituel, pour établir ce contact. J’ai choisi les fleurs car elle était horticultrice en Hollande. Elle s’occupait toujours des fleurs pendant les mariages en famille. Elle m’a appris les mauvaises herbes. Elle aimait faire des bouquets à partir de fleurs sauvages. Je me suis promenée tous les matins pendant dix jours et pour chaque fleur que je cueillais, j’avais une pensée pour elle. Je ramenais des fleurs à la maison et je pensais à elle, j’imaginais le mieux pour elle, puis, je faisais un tableau, chaque jour. Un tableau qui immortalisait le bouquet. Ils sont devenus des offrandes. Bonjour Mon corps se plie pour l’autre à qui je dis bonjour, je cligne des yeux, j’ouvre la bouche, je dis, un mot. Tu arrives dans mon monde et même si je ne te connais pas, je t’accueille. Si c’est moi qui arrive et qu’on me salue, j’existe en vrai, j’existe pour vous, nos corps se sourient L’humain crée d’abord un terrain pacifique les uns entre les autres. Je ne te mangerai que plus tard. Une fois que tu seras attendu.
Vin
Nos apéros sont notre ivresse commune. Une changement d’état pour se rencontrer ailleurs. Nombreux rituels qui n’en font qu’un. Quel est ce vin, quel est ce breuvage, cette arôme, cette robe ? Celui qui sait, dit et partage. Le vin est rituel invisible, qui ne se dit pas, dissimulé derrière des expériences qui chaque fois se répètent. Mais nul n’oublie ce qui compte vraiment. C’est cette dose d’alcool que nous partageons ensemble et qui nous emporte langues mêlées dans des états en communion. La saveur, l’arôme, la spiritualité de ces états sont recherchés pour ouvrir les portes de l’échange. De la possibilité facilitée de se trouver les mots, adoucir l’émotion. C’est un rituel social pour se rencontrer, le plaisir et la volupté aidant
Respirer les herbes
"J’ai descendu dans mon jardin pour y cueillir du romarin ». Comme le dit la chanson, descendre dans mon jardin pour aller cueillir la senteur, la fleur, l’herbe, l’aromate et la médecin est un rituel de santé sauvage et intuitive retrouvée. C’est quitter la maison et redevenir insecte, fleur, bestiole parmi les bestioles. C’est prendre une herbe sauvage, la frotter dans mes mains et fermer les yeux. Humer son essence, son pouvoir concentré, son arôme attirante. L'animal que je suis cherche la bonne herbe pour ce qu’il a. Ce rituel ressemble à celui de mes cousins, les grands singes. J’ouvre tous mes canaux intuitifs, me fait lacérer les jambes dans les herbes folles et cherchent la bonne. Je lâche les croyances et me retrouve magicienne.
La douche
Entrer sous l’eau comme on entre dans un temple. Prendre le savon et faire le tour de son corps. Mousser, laver, trouver son chemin d’un os à l’autre, d’un muscle à masser, de recoins à retrouver. J’ai 2 m2 de peau à nettoyer et à masser. Le rituel consiste à passer la main pour retrouver son chemin vers soi. Il permet le premier soin, celui à soi-même. Ne pas se lâcher, ne pas s’oublier, responsabilité et propreté pour soi et pour les autres. En Inde, dans certains lieux sacrés, il n’est pas possible d’entrer en cuisine sans être passé sous l’eau, complètement. Ainsi se laver de ses mauvaises idées, de celles des autres, se donner la possibilité d’une autre chance, chaque jour. Recommencer. On se lave pour lâcher ses coups de nerfs, ses démons, ses passions obscures. Se laver pour renaître chaque jour, nettoyé des mauvaises relations. Il est clair que nous devons avancer léger et s’inviter à vaincre sur les pollutions de l’âme et du corps.
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